... La vertu première du dhikr tient au fait qu'il s'agit, nous l'avons dit, de Noms sacrés tirés du Verbe révélé lui-même, donc porteurs d'une intense énergie spirituelle (1). Cette énergie se trouvera comme actualisée, déployée, par le nombre des répétitions, ce nombre ayant un rapport avec la valeur numérale des lettres qui composent le Nom Divin.
Le grand danger serait toutefois de considérer le dhikr, en raison même de sa puissance, comme une "recette" pour accéder systématiquement à des états extatiques ou supérieurs. C'est d'ailleurs pourquoi il ne doit être pratiqué que sur autorisation expresse d'un moqaddem ou d'un maître. Lorsque le dhikr est collectif, donc plus intense, il doit être effectué sous la direction et le contrôle attentif d'un maître. L'objectif n'est pas de rechercher systématiquement des "états" (hal), mais de se rapprocher de DIEU en se vidant, grâce au dhikr, de tout ce qui n'est pas Lui.
" Tout acte, a dit le prophète, ne vaut que par l'intention" (niyya). Il convient donc d'être très vigilant quant à son intention profonde lorsqu'on se livre à un exercice spirituel tel que le dhikr. Ce dernier est un moyen pour réaliser la purification progressive du coeur et réchauffer la foi, tout comme le souffle de la forge active le feu qui fera fondre le métal. Mais le moyen ne saurait être considéré comme une fin en soi. La seule fin, c'est DIEU, qui doit être adoré pour Lui-même et non pour les dons qu'Il est libre de nous octroyer ou non.
Le dhikr contient d'ailleurs en lui-même son propre antidote. La mention perpétuelle du Nom de DIEU, qui mène à percevoir progressivement sa réelle présence, conduit en effet le coeur à s'abaisser et à s'abîmer devant son Créateur et, finalement, comme le demande l'Ihsân, à "vivre sous son regard".
Selon une définition du grand mystique Al-Junayd, le tasawwuf (soufisme) consiste en ce que " DIEU fait mourir l'homme à son moi afin qu'il vive en Lui". Un autre grand soufi, Abou Yazid al-Bistani, disait : "Je me suis desquamé de mon moi comme un serpent de sa peau."
Cette mort à soi-même est appelée fana (littéralement extinction, comme s'éteint la flamme d'une bougie) tandis que la vie en DIEU et par DIEU, qui est son corollaire, est appelé baqâ : surexistence (continuité, permanence).
" Le rôle des soufi, disait Mohammed Abduh(2), est de guérir les coeurs et d'éliminer tout ce qui voile l'oeil intérieur. Ils s'efforcent d'établir leur demeure en l'Esprit, devant la Face de Celui qui est la très haute Vérité, jusqu'à ce qu'ils soient, par Lui, retirés de tout ce qui est autre, leur essence étant éteinte en Son Essence, et leurs qualités en Ses Qualités (3)."
Mais quelle parole pourrait mieux exprimer cet état de fana/baqâ (extinction de soi/vie en DIEU et par DIEU) que ce hadith qudsi ou "hadith saint" dans lequel DIEU, par la bouche du Prophète, parle à la première personne, hadith qui a été médité par les soufi de tous les temps :
" Que mon serviteur ne cesse de s'approcher de Moi par des oeuvres surérogatoires (4) jusqu'à ce que Je l'aime. Et quand Je l'aime, Je suis l'ouïe par laquelle il entend, la vue par laquelle il voit, la langue par laquelle il parle, la main par laquelle il saisit." Une variante ajoute : " Quand Je l'aime Je le tue, et quand Je le tue, c'est Moi qui suis sa rançon."
On pourrait dire que tout le soufisme est basé sur ce hadith, tant pour la méthode (les oeuvres surérogatoires) que pour l'objectif suprême : l'investiture Divine (baqâ') après la mort à soi-même (fanâ).
Le grand danger serait toutefois de considérer le dhikr, en raison même de sa puissance, comme une "recette" pour accéder systématiquement à des états extatiques ou supérieurs. C'est d'ailleurs pourquoi il ne doit être pratiqué que sur autorisation expresse d'un moqaddem ou d'un maître. Lorsque le dhikr est collectif, donc plus intense, il doit être effectué sous la direction et le contrôle attentif d'un maître. L'objectif n'est pas de rechercher systématiquement des "états" (hal), mais de se rapprocher de DIEU en se vidant, grâce au dhikr, de tout ce qui n'est pas Lui.
" Tout acte, a dit le prophète, ne vaut que par l'intention" (niyya). Il convient donc d'être très vigilant quant à son intention profonde lorsqu'on se livre à un exercice spirituel tel que le dhikr. Ce dernier est un moyen pour réaliser la purification progressive du coeur et réchauffer la foi, tout comme le souffle de la forge active le feu qui fera fondre le métal. Mais le moyen ne saurait être considéré comme une fin en soi. La seule fin, c'est DIEU, qui doit être adoré pour Lui-même et non pour les dons qu'Il est libre de nous octroyer ou non.
Le dhikr contient d'ailleurs en lui-même son propre antidote. La mention perpétuelle du Nom de DIEU, qui mène à percevoir progressivement sa réelle présence, conduit en effet le coeur à s'abaisser et à s'abîmer devant son Créateur et, finalement, comme le demande l'Ihsân, à "vivre sous son regard".
Selon une définition du grand mystique Al-Junayd, le tasawwuf (soufisme) consiste en ce que " DIEU fait mourir l'homme à son moi afin qu'il vive en Lui". Un autre grand soufi, Abou Yazid al-Bistani, disait : "Je me suis desquamé de mon moi comme un serpent de sa peau."
Cette mort à soi-même est appelée fana (littéralement extinction, comme s'éteint la flamme d'une bougie) tandis que la vie en DIEU et par DIEU, qui est son corollaire, est appelé baqâ : surexistence (continuité, permanence).
" Le rôle des soufi, disait Mohammed Abduh(2), est de guérir les coeurs et d'éliminer tout ce qui voile l'oeil intérieur. Ils s'efforcent d'établir leur demeure en l'Esprit, devant la Face de Celui qui est la très haute Vérité, jusqu'à ce qu'ils soient, par Lui, retirés de tout ce qui est autre, leur essence étant éteinte en Son Essence, et leurs qualités en Ses Qualités (3)."
Mais quelle parole pourrait mieux exprimer cet état de fana/baqâ (extinction de soi/vie en DIEU et par DIEU) que ce hadith qudsi ou "hadith saint" dans lequel DIEU, par la bouche du Prophète, parle à la première personne, hadith qui a été médité par les soufi de tous les temps :
" Que mon serviteur ne cesse de s'approcher de Moi par des oeuvres surérogatoires (4) jusqu'à ce que Je l'aime. Et quand Je l'aime, Je suis l'ouïe par laquelle il entend, la vue par laquelle il voit, la langue par laquelle il parle, la main par laquelle il saisit." Une variante ajoute : " Quand Je l'aime Je le tue, et quand Je le tue, c'est Moi qui suis sa rançon."
On pourrait dire que tout le soufisme est basé sur ce hadith, tant pour la méthode (les oeuvres surérogatoires) que pour l'objectif suprême : l'investiture Divine (baqâ') après la mort à soi-même (fanâ).
Certes, avant d'atteindre de tels degrés, il existe bien des étapes intermédiaires et bien des épreuves, sur le chemin où nous guette constamment le Makarou, l' "illusion Divine" (5). C'est pourquoi l'aide d'un maître est nécessaire. Les limites de chacun dépendront de ses dispositions propres, de la qualité de son effort, et, finalement, de la libre grâce Divine.
Par une attitude de tawakkul (abandon conscient à la volonté Divine), le croyant sincère s'efforce de réaliser en lui, selon la parole de Hallaj (6), une "totale conformité aux décrets de DIEU sur lui" et de vider son coeur de tout ce qui est "autre que DIEU", afin de s'offrir à sa Présence.
Dans un autre hadith qudsi, DIEU dit : "70 fois par jour (ou 70.000 fois, selon une variante), Je regarde dans le coeur de mon serviteur pour y entrer. Hélas, le plus souvent, Je le trouve plein de lui-même, et Je me retire."
Croire que cette mort à soi même doit nécessairement s'accompagner d'un retrait hors du monde et d'une fuite de ses responsabilités serait cependant une erreur - encore que la retraite spirituelle puisse parfois être nécessaire à une certaine étape. Ce serait contraire à l'esprit même de l'Islam qui se veut totalité et qui engage l'être dans tous ses aspects. L'Islam n'est pas fuite vers le sacré, mais intégration consciente du sacré dans tous les plans de l'existence. Il s'agit de vivre au milieu du monde, là où se trouve, non plus au nom de son ego mais avec DIEU, en DIEU et par DIEU.
" Toute la vie, la vie de chaque jour, doit être remplie de la présence de DIEU et du désir de Le servir" (Ghazali). C'est au coeur même de la vie et de l'action qu'il nous faut nous tourner intérieurement vers DIEU. Tel est, précisément, l'objet suprême du soufisme : faire participer au Sacré non seulement les pratiques canoniques prescrites, mais, selon la parole d'Hasan el-Basri, "tous les gestes de la vie quotidienne"; "faire de sa propre vie un lieu de la manifestation Divine", disait Ibn el-Arabi.
Un jour, un homme vint trouver Tierno Bokar et lui dit :
- Tierno, je suis inquiet pour moi même. Je n'ai pas le temps de réciter beaucoup de Coran, ni de pratiquer de longs dhikr, ni de faire beaucoup de retraites spirituelles ou de jeûner en dehors du Ramadan. Qu'adviendra-t-il de mon âme ?
- Que fais-tu dans la journée ? lui demanda Tierno.
- Chaque jour, je travaille dans les champs du matin au soir pour nourrir ma nombreuse famille, répondit le brave homme.
- Sois tranquille, lui dit Tierno. C'est ton travail qui est ta prière. Si tu accomplis ton travail le plus parfaitement possible et dans l'intention de plaire à DIEU qui te l'a imposé, alors, ton travail devient adoration, au même titre que les dhikr ou les jeûnes de ceux qui n'ont rien d'autre à faire.
Il n'y a donc, pour la vie spirituelle, ni époques ni lieux privilégiés. Au sein même du travail le plus astreignant, il est toujours possible d'accomplir chacune de ses tâches "au nom de DIEU" (Bismillâh) (7) et de s'efforcer de vivre chaque instant en sa Présence. Les soufi ne se sont-ils pas appelés eux-mêmes les "fils de l'instant" ?
La vie en DIEU, liée à l'abandon confiant en sa Volonté, est équilibre entre le haut et le bas, entre l’intérieur et l'extérieur qui s'unifient en elle. Selon la parole du prophète :
" Travaille pour la vie de ce monde comme si tu devais vivre mille ans, et pour la vie future comme si tu devais mourir demain."
source: Vie et enseignement de Tierno Bokar (Amadou Hampaté Bâ)
1. Dans l'un de ses dérivés, le mot dhikr signifie également "énergie".
2. Grand penseur et réformateur musulman, né en 1849, qui fut nommé Mufti d'Egypte en 1899.
3. " Ne dites pas que je suis bon, seul le Père est bon", a dit Jésus.
4. Les oeuvres surérogatoires (ou "supplémentaires") sont celles qui sont accomplies en plus des prescriptions canoniques, en vue de plaire à DIEU.
5. C'est la faculté de différenciation (Ikhlass), qui permet, lorsqu'on croit avoir atteint le but parce que l'on a vécu un "état", d'en percevoir les limites et d'opérer le " lâcher prise" nécessaire pour s'élever (ou se purifier) davantage. Le mot Ikhlass comporte d'ailleurs également l'idée de pureté. Par opposition, tout ce qui arrête dans la progression parce que l'on se réjouit d'avoir "atteint" quelque chose est "l'illusion", le mirage (makarou) qui distrait de DIEU.
6. Autre grand mystique de l'Islam. cf. les oeuvres de Louis Massignon, notamment La Passion de Hallaj, martyr mystique de l'Islam, Paris, Gllimard, 1975.
7. La formule Bismillâh (Au nom de DIEU) qui ouvre chaque sourate du Coran, doit être prononcée par les musulmans au moment d'accomplir tout acte, quel qu'il soit, afin de le consacrer à DIEU.
2. Grand penseur et réformateur musulman, né en 1849, qui fut nommé Mufti d'Egypte en 1899.
3. " Ne dites pas que je suis bon, seul le Père est bon", a dit Jésus.
4. Les oeuvres surérogatoires (ou "supplémentaires") sont celles qui sont accomplies en plus des prescriptions canoniques, en vue de plaire à DIEU.
5. C'est la faculté de différenciation (Ikhlass), qui permet, lorsqu'on croit avoir atteint le but parce que l'on a vécu un "état", d'en percevoir les limites et d'opérer le " lâcher prise" nécessaire pour s'élever (ou se purifier) davantage. Le mot Ikhlass comporte d'ailleurs également l'idée de pureté. Par opposition, tout ce qui arrête dans la progression parce que l'on se réjouit d'avoir "atteint" quelque chose est "l'illusion", le mirage (makarou) qui distrait de DIEU.
6. Autre grand mystique de l'Islam. cf. les oeuvres de Louis Massignon, notamment La Passion de Hallaj, martyr mystique de l'Islam, Paris, Gllimard, 1975.
7. La formule Bismillâh (Au nom de DIEU) qui ouvre chaque sourate du Coran, doit être prononcée par les musulmans au moment d'accomplir tout acte, quel qu'il soit, afin de le consacrer à DIEU.
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