samedi 20 décembre 2014

LA VÉRITÉ DE LA CRAINTE - IMÂM AL GHAZALI

Sache que la crainte est l'expression de la douleur du coeur lorsqu'il s'attend à l'avènement de quelque chose de détestable à l'avenir. Mais celui qui fréquente habituellement le Seigneur, dont le coeur est entre les mains de la vérité et qui contemple continuellement la beauté de la vérité ne s'occupe plus de ce qui va se produire à l'avenir. Il n'a plus de crainte ni d'espérance, son état est alors au-dessus de l'espérance et de la crainte. Al Wassi dit : " La crainte est un voile entre Dieu et l'homme" et " Lorsque la vérité apparaît dans l'âme, il n'y a plus de place pour l'espérance ou la crainte." En bref, lorsque l'amant remplit son coeur de crainte en contemplant l'être aimé, la contemplation est alors imparfaite. Or, la permanence de la contemplation est la dignité idéale.

Nous disons maintenant puisque nous parlons des premières dignités : l'état de crainte s'organise aussi à partir d'un savoir, d'un état et d'une oeuvre. Le savoir est celui de la cause qui conduit au détestable. Par exemple, un homme qui commet un crime à l'encontre d'un roi et qui tombe, par la suite, entre les mains de ce dernier. Il craint la mort et il imagine le pardon et la faute. Son coeur sera d'autant plus torturé par la crainte qu'il sait bien quelles sont les causes qui le mèneront à la mort, l'horreur de son crime et que le roi est haineux, colérique et vengeur, qu'il est entouré de gens qui l'incitent à la vengeance et que lui-même n'a personne pour intercéder en sa faveur. Et cet homme craintif n'a fait aucune bonne action par le passé qui pourrait effacer l'effet de son crime auprès du roi. La connaissance de toutes ces causes devient la cause d'une grande crainte et d'une grande douleur du coeur. Plus ces causes sont faibles et moins grande est la crainte. La crainte peut naître non pas d'un délit commis par celui qui a peur mais de la qualité de celui qui fait peur. Par exemple, celui qui tombe dans les griffes d'un fauve craint le fauve pour sa qualité et pour sa nature qui consiste souvent à attaquer et à déchirer sa proie bien qu'il choisisse souvent la proie à dévorer. Parfois, la crainte naît de la constitution de ce qui fait peur. Ainsi, celui qui tombe dans un torrent ou se trouve pris dans un incendie craint l'eau et le feu car, par nature, l'une provoque la noyade et l'autre brûle. La connaissance des causes de ce qui est détestable est la cause qui provoque l'agitation et la douleur du coeur. Cette agitation est la crainte. De même de la crainte de Dieu naît parfois de la connaissance de Dieu et Ses attributs car s'Il détruit les deux mondes, Il n'en aura cure et personne ne pourra L'en empêcher et, parfois, la crainte naît du grand nombre de désobéissances qu'on a commises. Dans certains cas, cette crainte naît des deux raisons réunis. Elle naît de la connaissance des défauts de sa propre âme et de la Majesté du Seigneur, " Nul ne Le questionne sur ce qu'Il fait, et eux, ils seront interrogés". De là, vient la grande crainte. Celui qui craint le plus Son Maître est celui qui se connait le mieux et qui connaît le Maître. Pour cette raison, le Prophète a dit: " Je suis parmi vous celui qui craint Dieu le plus." 
Et le Seigneur dit : " Il ne craint Dieu d'entre Ses serviteurs, que ceux qui ont la connaissance." Lorsque la connaissance est  parfaite, elle fait naître la majesté de la crainte et l'agitation du coeur. L'effet de l'agitation déborde par la suite sur le coeur, sur le corps, les membres et sur toutes les caractéristiques de l'homme. Son effet sur le corps se traduit par une maigreur, un teint jaune, de l’évanouissement, des hurlements et des pleurs. Cet effet peut toucher le vésicule biliaire et entraîner la mort, monter au cerveau et altérer la raison ou s'exacerber et résulter en ennui et désespérance.



Quand à l'effet sur les membres, il se traduit par leur abstention de commettre des désobéissances, par leur engagement à obéir à Dieu et par une résolution de se détourner du passé et de se préparer à l'avenir. On dit : Ce n'est pas  celui qui pleure et s'essuie les yeux qui éprouve de la crainte mais celui qui évite ce dont il risque d'être puni. On a demandé à Dhoul Noun : Quand est-ce que l'homme a peur ?

Il répondit : " Celui qui est dans la situation du malade qui cherche à ce que la maladie ne dure pas."

L'effet sur les caractéristiques résulte en une répression des désirs : les plaisirs deviennent ternes et les désobéissances tant aimées deviennent détestables. Le miel devient aussi détestable à celui qui l'aime si celui-ci sait qu'il contient du poison.

Les désirs se consument par la crainte et les membres s'éduquent. Le coeur devient languide, soumis et humble. Il est débarrassé de l’orgueil, de la haine et de la jalousie. Il ne se soucie plus que de la crainte et ne fait plus attention qu'au danger de la fin.

Il n'a d'autre préoccupation que  le contrôle de soi, les comptes demandés à soi, l'effort et l'avertissement à l'âme contres les dangers, les actes et les paroles (répréhensibles). Il est alors dans la situation de celui qui tombe entre les griffes d'un fauve et qui ne sait s'il va pouvoir s'échapper à la faveur d'une inattention de l'animal ou si celui-ci va l'attaquer et le déchirer. Son être intérieur et son être apparent sont alors préoccupés par ce qui fait peur et ils ne peuvent pas avoir d'autre préoccupation. Telle est la situation de celui qui est sous l'emprise de la peur. Et telle était celle de certains compagnons et partisans du Prophète. La force du contrôle, des comptes et de l'effort est proportionnelle à celle de la crainte qui est la douleur et l'agitation du coeur. Et la force de la crainte est proportionnelle à celle de la connaissance de la majesté, des attributs et des créations de Dieu ainsi que des défauts de l'âme et de ce qui est devant elle comme dangers. Le degré le plus bas de la crainte est celui dont l'effet apparaît dans les oeuvres : on s'abstient des interdits et on appelle cette abstinence la crainte de Dieu (Waraa). On appelle, d'autre part, piété le fait, en cas d'une plus grande force de la crainte, de se détourner de ce qui inspire des doutes et qu'on s'interdit à soi-même. On arrive à rejeter ce qui est bon de peur qu'il ne contienne un mal : telle est la vraie piété. Si on se consacre, en plus, au service de Dieu, on ne construit plus que ce qu'on va habiter et on ne ramasse plus que ce qu'on va manger soi-même et on ne se tourne plus vers un monde dont on est certain qu'il va nous quitter. On ne consacre plus son âme à autre qu' à Dieu. Telle est la foi vraie (Sidq) et celui qui a cette foi mérite d'être nommé Saddik.

Dans la foi vraie est la piété (Takwa); dans la piété est la crainte de Dieu (Waraa) et dans la crainte de Dieu est la chasteté (Iffa). L'abstinence est en particulier l'expression d'un refus des exigences des désirs.

Donc, la crainte influe sur les membres par une abstinence (des désobéissances) et par une initiative. De par cette abstinence, elle devient chasteté, un rejet des exigences des désirs. Plus élevée que cette sorte de crainte est la crainte de Dieu (Waraa). Car elle est le refus de tout interdit. Au-dessus est la piété (Takwa) qui est le refus de ce qui est interdit et de ce qui n'est pas certain. Ensuite viennent des degrés du Saddik et du Mokkarab (rapproché de Dieu). Ce dernier degré est par rapport à celui qui le précède comme le particulier est au général. Lorsqu'on cite le particulier, on cite le tout. Ainsi tu dis: l'homme est soit Arabe soit un étranger; et l'Arabe est soit qoraïchite, soit d'une autre tribu; le qoraïchite est soit hachémite, soit autre; le hachémite est soit alaouite ou autre; l'alaouite est soit hassanite ou husseïnite. Si on qualifie un homme de hassanite, on le qualifie en même temps du tout. Par contre, si on le qualifie d'alaouite, on le qualifie en même temps de ce qui a précédé, de ce qui lui est plus général. De même si on qualifie quelqu'un de Saddik, on le qualifie en même temps comme un homme qui craint Dieu et qui est chaste.

Il ne faut pas penser que ces termes nombreux expriment des significations nombreuses et différentes. Il ne faut pas demander des significations aux mots si les mots ne portent pas ces significations.


Source : L'apaisement du coeur - Al Ghazali.


mardi 16 septembre 2014

Cliquez sur le lien au dessus de l'image:

http://oumma.com/202681/soufisme-france-22


mardi 15 avril 2014

La voie spirituelle : le soufisme (Eva de vitray)

Cœur vivant de l'Islam, intériorisation vécue d'un donné révélé - conjointement à l'observance fidèle des pratiques rituelles -, la Tarîqa, ou Voie spirituelle, est aussi désignée par le nom Tassawwuf, ou soufisme. C'est la dimension ésotérique du message islamique qui, comme la Sharî'a, la Loi religieuse, prend son origine dans le Coran et la tradition prophétique.

Que le soufisme soit fondamentalement islamique, quelles que soient les affiliations plus ou moins arbitraires qui lui ont été attribuées par les orientalistes occidentaux - vedanta, christianisme, néo-platonisme-, ce ne peut être mis en doute, puisque toute réalisation spirituelle se fonde sur l'enseignement du Livre saint et la pratique de Mohammed.

On a parfois utilisé le symbole géométrique du cercle pour montrer le lien existant entre les dimensions fondamentales de l'Islam : la circonférence représente la Loi religieuse qui embrasse la communauté musulmane tout entière; les rayons symbolisent les chemins (tarîqas) menant au centre, où se trouve la Vérité suprême - Haqîqa - qui, "étant partout et nulle part", crée sur le plan métaphysique la Tarîqa et la Sharî'a, comme le point engendre à la fois les rayons et la circonférence...
La Loi et la Voie, toutes deux conduites à l'existence par Dieu qui est la Vérité, réfléchissent le Centre, chacune à sa manière.

Source: Rûmi et le soufisme (Eva de Vitray-Meyerovitch)

mardi 11 février 2014

LA VOIE MYSTIQUE MUSULMANE

Derviche
De nos jours, le mysticisme en islam est surtout connu par les exercices des différents ordres de derviches. En fait, bien qu'ils soient en vérité l'aboutissement logique de la méthode mystique poussée à l'extrême, ces exercices ne révèlent pas davantage l'essence réelle et la nature du mysticisme musulman, que les balbutiements extatiques des compagnons de prophètes ne manifestaient le sens véritable du prophétisme, ou que les extravagances des convulsionnaires ou de ceux qui "parlent en langue" ne révèlent les vérités profondes du mysticisme chrétien. D’ailleurs les ordres de derviches n'apparurent que dans les années qui suivirent la mort d'al-Ghazâli et ne jouent aucun rôle dans l'islam mystique du onzième siècle.
Le courant mystique a ses sources dans le mouvement ascétique qui se fit jour en islam avant la fin du second siècle de son histoire.

L'ascétisme et le mysticisme étaient regardés comme le chemin de la vérité et du salut par les premiers musulmans et par leurs hommes illustres, les compagnons du prophète, les successeurs et la génération suivante. Être constamment pieux, abandonner tout confort par amour de Dieu, se détourner du monde et de ses vanités, renoncer aux plaisirs, aux richesses, au pouvoir, buts habituels de l'ambition humaine, se retirer de la société et vivre dans la solitude une vie consacrée au service de Dieu, tels étaient les principes fondamentaux du soufisme qui prévalaient parmi les compagnons et les musulmans de la première heure. Cependant lorsque, dès la seconde génération, le goût des plaisirs terrestres se répandit largement et que les hommes ne cherchèrent plus à fuir la contamination, ceux dont la piété restait le but unique furent distingués par le titre de soufis.

La vie mystique, dans l'islam comme dans les autres religions, est comparée à un voyage. Le mystique avance le long d'un chemin : 
la voie mystique, qui mène finalement à l'état suprême dans lequel l'âme, complètement débarrassée de toute pensée et de tout intérêt terrestres, achève son unité avec Dieu. Au fur et à mesure qu'elle avance dans son voyage, l'âme passe par différentes étapes et différents états. Voici la distinction entre les deux termes : les étapes sont des degrés dans l'ascèse et la discipline morale que pratique le  voyageur. Ces degrés doivent être maîtrisés l'un après l'autre, dans un ordre déterminé, car il serait impossible au voyageur d'atteindre le plus élevé avant d'avoir gravi le précédent. Les états, par contre, sont  des dispositions de l'âme, des émotions spirituelles, sur lesquelles l'homme n'a aucun contrôle: joie, douleur, élans ou dépression, que le cœur de l'homme connait en les goûtant, sans que sa volonté intervienne pour les susciter ou les repousser.
Soufies derviches

Les étapes ont une permanence foncière, c'est à dire que le voyageur est toujours à l'une ou à l'autre étape de son voyage. Mais les états sont transitoires, vont et viennent, laissant le voyageur toujours plus avide d'éprouver des états supérieurs.

La voie mystique étant essentiellement individuelle, il s'ensuit que deux soufis ne peuvent jamais avoir des expériences identiques au cours de leur voyage. C'est pourquoi de nombreux soufis ne s'accordent pas sur les détails quand ils parlent des étapes et des états que doit franchir l'âme.

Un des systèmes les plus anciens et les plus connus, celui d'al-Sarrâg, qui mourut en 988, mentionne sept étapes :

  1. Repentance
  2. Abstinence
  3. Renonciation
  4. Pauvreté
  5. Patience
  6. Confiance en Dieu
  7. Satisfaction. 
Il énumère dix états qui saisissent le voyageur :
  1. Méditation
  2. Présence de Dieu
  3. Amour
  4. Peur
  5. Espérance
  6. Désir
  7. Intimité
  8. Tranquillité
  9. Contemplation
  10. Certitude.
Un autre mentionne sept états correspondant à la condition de l'âme dans chacun d'eux; ce sont:
  1. L'Âme inclinée au mal
  2. L'Âme repentante
  3. L'Âme inspirée
  4. L'Âme paisible
  5. L'Âme satisfaite en Dieu
  6. L'Âme satisfaisant Dieu
  7. l'Âme parfaite.
Le but du voyageur dans un soufisme parfaitement organisé, est de franchir les différentes étapes de la voie mystique, et d'en vivre les états successifs jusqu'au point d'atteindre le stade le plus élevé. Ce stade est décrit par les termes de : anéantissement, extase, passion, ou union. Le voyageur y cesse d'être un novice cherchant la connaissance, pour devenir un maître-connaisseur. Dans cet état, le soufi aura rejeté toute servitude matérielle et se sera perdu dans la contemplation de Dieu, ultime Vérité. A ce stade, nombre de soufis se sentent dégagés des impératifs conventionnels extérieurs de la prière et des modes de culte. Alors jaillissent de leurs bouches ces "gémissements extatiques", ces "cris véhéments" et ces "divagations" que condamne al-Ghazâli. 

C'est un long chemin qu'a parcouru le mysticisme en islam. Poussé à l'extrême, il conduit aux extravagances, aux errements dans la vie comme dans la doctrine. Mais les premiers mystiques étaient des hommes à la piété ascétique, qui cherchaient par le jeûne, la prière et le sacrifice des biens terrestres, à s'arracher au monde et à s'unir à Dieu; ce qui est le but de l'homme sincèrement religieux dans tout pays et toute religion.

source: Lettre au disciple (al-Ghazâli)