mardi 21 août 2012

De la Sagesse de la Prophétie dans le Verbe de Jésus (1ère partie) - Ibn'Arabi

Allâh le Nom de DIEU
L'Esprit (ar-rûh, c'est à dire le Christ) fut manifesté de l'eau de Marie et du souffle de Gabriel, sous la forme de l'homme fait d'argile,
Dans un corps épuré de la nature (corruptible), qu'il appelle "prison" (sijîn).
En sorte qu'il y demeure plus de mille ans (1). Un "esprit de DIEU (2), de nul autre : c'est pour cela qu'il ressuscitait les morts et créa l'oiseau d'argile. Sa relation envers son Seigneur est telle, qu'il agit par elle dans les mondes supérieurs et inférieurs. 
DIEU purifia son corps et l'éleva en esprit, et en fit le symbole de Son acte créateur (3). Sache que les esprits ont la vertu de communiquer la vie à tout ce qu'ils touchent. C'est pour cette raison qu'as-Sâmarî (dont il est dit dans le Coran qu'il fit le veau d'or qu'adorèrent les israélites en l'absence de Moïse), saisit de la poussière sur les traces  de l'envoyé (divin), qui était (l'archange) Gabriel; car as-Sâmarî connaissait cette vertu des esprits, et lorsqu'il apprit que l'envoyé était Gabriel, il sut  que la vie s'était communiquée à l'endroit qu'il avait frappé de  son pied; il y ramassa donc une prise de poussière (4) et la jeta dans le veau (d'or), qui "mugit' aussitôt à la façon des bovidés; - la statue aurait émis la voix de n'importe quel autre animal, y compris l'homme, si elle en avait eu la forme. - Ce pouvoir vient de la vie  infuse aux choses, vie qu'on appelle lâhût (nature divine), tandis que le récipient que l'esprit vivifie est appelé nâsût (nature humaine); et ce nâsût (qui comprend la forme corporelle) est à son tour considéré comme un esprit à cause de ce qui le maintient en existence.


Quant l' "Esprit fidèle" (ar-rûh al-âmin), qui est Gabriel, apparut à Marie "sous la forme d'un homme harmonieux), elle s'imagina que c'était un homme qui cherchait à la connaître charnellement, et sachant que cela n'était pas permis, elle "chercha refuge en DIEU contre lui" (5) de tout son être, et de ce fait, elle fut envahie par un état parfait de Présence Divine, état qui s'identifiait à l'esprit intellectuel (ar-rûh al-manâwî). Si Gabriel lui avait transmis son souffle à l'heure même, tant qu'elle se trouvait dans cet état, Jésus serait né tel que personne ne l'aurait pu supporter à cause de sa nature tranchante, conforme à l'état de sa mère lors de sa conception; Mais dès que Gabriel dit à Marie : " En vérité, je suis l'envoyé de ton Seigneur, et je suis venu pour te donner un fils pur" (6), elle se détendit de son état de contraction et sa poitrine s'élargit; et c'est alors que Gabriel lui insuffla [l'esprit de] Jésus. Gabriel - sur lui la paix ! - était donc le véhicule de la Parole Divine transmise à Marie, de la même manière que l'envoyé (ar-rasûl) transmet les paroles de DIEU à son peuple, selon la parole coranique : "[Jésus était] Sa parole qu'Il projeta sur Marie et esprit de Lui (cor IV, 170). Dès l'instant, le désir amoureux envahit Marie, de sorte que le corps de Jésus fut créé de la véritable "eau" (ou semence) de Marie et de l' "eau" (ou semence) purement imaginaire de Gabriel, transmise par l'humidité principiellement inhérente au souffle - car le souffle des êtres animés contient l’élément eau.
Ainsi le corps de Jésus fut constitué d' "eau" imaginaire et d' "eau" véritable, et il fut enfanté sous forme humaine à cause de sa mère et à cause de l'apparition de Gabriel sous forme d'homme; puisqu'il n'y a pas de génération dans cette espèce humaine en dehors de la loi commune (7).


De même, Jésus ressuscita les morts parce qu'il est Esprit Divin - DIEU seul donne la vie; tandis que le souffle [qui transmit la vie] était de Jésus; de même que le souffle inspiré à Marie était le souffle de Gabriel, tandis que le Verbe venait de DIEU. De ce fait, la ressuscitation des morts est vraiment une action de Jésus puisqu'elle émanait de son souffle, comme lui-même émanait de la forme de sa mère; d'autre part, ce n'est qu'en apparence que la ressuscitation fut opérée par lui, vu qu'elle est essentiellement un acte Divin. Jésus unissait en lui ces deux réalités, en vertu de sa constitution, dont nous disions qu'elle est issue à la fois d'une semence imaginaire [ou créée par le pouvoir de suggestion : al-wahm] et d'une semence réelle; en sorte que l'action de ressusciter les morts relève de lui d'une manière effective, d'autre part, et d'une manière supposée d'autre part. Selon le premier de ces aspects, il est dit de lui : "Il vivifie les morts (coran III, 48), et selon le deuxième aspect : "Il souffle en lui [c'est à dire, dans l'oiseau formé d'argile] et il devient un oiseau, par la permission de DIEU (cor III, 48), l'agent, dans ce cas, étant logiquement rattaché à l'expression : " par la permission de DIEU"; - c'est à dire que la transformation de l'oiseau d'argile en oiseau réel se fit par l'intervention de DIEU; cependant, l'on peut aussi rapporter la permission Divine à l'action de souffler et non pas à la transformation [de la forme d'argile] en oiseau, [dont l'âme spécifique] serait alors simplement due à la forme apparente [de l'objet qui reçut le souffle vivifiant]. Il en va de même pour la guérison de l'aveugle-né et du lépreux et pour toute autre action miraculeuse attribuée [selon le Coran] à Jésus d'une part, et à la permission de DIEU, d'autre part, permission rapportée à la première ou à la deuxième personne, selon les paroles coraniques : "par Ma permission" ou "par la permission de DIEU" (cor V, 110). Donc, si la permission de DIEU se rapporte à l'insufflement, l'oiseau fut créé, avec la permission Divine, par celui qui souffla dans [l'objet d'argile]. Par contre, si l'action de souffler ne dépend pas [directement] de la permission  Divine, c'est la transformation de l'oiseau [d'argile] en oiseau [réel] qui en dépendra, et l'agent de cette transformation est alors impliqué dans le terme : " il devient ". Si l'acte dont il s'agit ne comportait pas en lui-même quelque chose d'effectif et quelque chose d'imaginaire, l'évènement ne pourrait pas assumer indifféremment les deux aspects; et il en est ainsi parce que la constitution de Jésus comporte elle-même l'un et l'autre aspects.

Jésus manifesta de l'humilité jusqu'à ordonner à sa communauté qu'ils donnent la dîme en s'humiliant, et que si quelqu'un est frappé sur sa joue, il tende l'autre à celui qui l'a frappé et ne se révolte pas contre lui ni ne cherche vengeance. Ceci Jésus le tint du côté de sa mère, car c'est à  la femme de se soumettre tout naturellement, puisque la femme est légalement et physiquement sujette à l'homme. Son pouvoir vivifiant et guérissant, par contre lui parvint du souffle de Gabriel revêtu de forme humaine. C'est pour cela que Jésus put vivifier les morts tout en ayant la forme de l'homme. Si Gabriel n'était pas apparu [à Marie] sous forme humaine mais sous n'importe quelle autre forme sensible, animale, végétale ou minérale, Jésus n'aurait pas ressuscité des morts sans avoir, en ce moment-là, revêtu cette forme non humaine, et s'être manifesté en elle; de même, si Gabriel était apparu en une forme de lumière [spirituelle] exempte des éléments et des qualités sensibles - quoique comprise dans la Nature universelle (at-tabî'ah) , - Jésus n'aurait pas ressuscité des morts sans apparaître lui-même, lors de son action, dans cette forme de lumière suprasensible, tout en revêtant en même temps la forme humaine qu'il reçut du côté de sa mère.

A cause de cela [c'est à dire, à cause de son identification avec Gabriel, lors de l'action miraculeuse], on disait de lui, lorsqu'il ressuscitait les morts, que c'était lui et pourtant pas lui, et les spectateurs furent consternés en le regardant, de même que celui qui réfléchit sur cette action est consterné qu'une personne humaine vivifie les morts, alors que c'est une propriété Divine de vivifier les êtres doués de la parole - non pas les autres animaux [ceux-ci participant en quelque sorte de la vie de l'homme parfait]; le penseur est confus de voir une action Divine émanant d'une forme humaine. C'est ce qui poussa certains à postuler la "localisation" (hulûl) de DIEU [dans la nature humaine de Jésus], et d'autres à dire que Jésus était DIEU en tant qu'il ressuscitait  les morts, et pour cela le Coran leur attribue le kufr (la mécréance), mot qui signifie littéralement le voile (sitr), parce qu'ils "voilent' DIEU qui, Lui, ressuscite réellement  les morts, par la forme humaine de Jésus. DIEU dit [dans le Coran] : " Ceux-là sont mécroyants qui dirent : en vérité, DIEU est Lui-même le Messie, fils de Marie" (cor V, 19), car ils cumulèrent la déviation et la mécréance dans leur affirmation, non pas parce qu'ils disaient que le Messie était DIEU, ni en le nommant le fils de Marie, mais puisqu'ils identifiaient DIEU, en tant qu'Il vivifie les morts, avec la forme humaine terrestre désignée expressément comme le fils de Marie. Certes, Jésus était le fils de Marie; et celui qui entend la phrase dont il s'agit pourrait croire qu'ils attribuaient la Nature Divine (al-ulûhiyah) à la forme de Jésus en ce sens que la Divinité est l'essence de cette forme; mais il n'en est rien, puisqu'ils firent de l'Ipséité (al-huwiyah) Divine le sujet de la forme humaine désignée comme le fils de Marie [par l'expression : " DIEU est Lui-même, etc."]; ils distinguaient donc la forme [humaine] comme telle d'avec le principe [dont elle est une manifestation] et n'identifiaient pas la forme [Christique] essentiellement à ce principe [qui se manifeste par la vivification des morts] (8), de même que l'on distingue la forme humaine que revêtit Gabriel d'avec le souffle qu'il inspira à Marie; car bien que le souffle émane de cette forme, il n'en découle pas essentiellement.

De ce fait, les différentes communautés religieuses se contredirent au sujet de l'identité de Jésus - sur lui la paix ! - Certains, le considérant en vertu de sa forme humaine terrestre, affirmaient qu'il était le fils de Marie (9); d'autres, envisageant en lui la forme apparemment humaine, le rattachaient à Gabriel; et d'autres encore, en raison de ce que la vivification des morts émanait de lui, le rattachaient à DIEU par l'Esprit, disant de lui qu'il était l'Esprit de DIEU, à savoir que c'est lui qui communiquait la vie à celui recevait son souffle. Ainsi, à tour de rôle, l'on suppose en lui ou DIEU ou l'Ange ou la nature humaine; de sorte qu'il est pour chaque spectateur ce qui s'impose à ce spectateur : il est le Verbe de DIEU, il est l'Esprit de DIEU, et il est le serviteur [c'est à dire la créature] de DIEU. C'est là quelque chose qui n'a lieu pour aucun autre homme, en tant qu'on considère sa forme apparente. Car toute personne se rattache naturellement à son père formel et non pas à celui qui insuffla son esprit à la forme humaine. Car lorsque DIEU "forme", comme Il le dit, le corps humain, et qu'Il y "souffle" ensuite de Son Esprit (10), cet Esprit se rattache, de par son existence comme de par son essence, à DIEU seul. Or, pour Jésus,  il n' en est pas ainsi, la préparation de son corps et de sa forme étant impliquée dans le souffle spirituel [que Gabriel projeta sur Marie]. Tel n'est pas le cas pour les autres êtres humains, [mais la préparation du corps précède l'inspiration de l'esprit], comme nous venons de le dire.
à suivre
source : La Sagesse des Prophètes (Ibn'Arabi)





1. C'est à dire le temps écoulé depuis l’ascension du Christ jusqu'au moment où ces lignes ont été écrites; il y demeurera jusqu'à sa "redescente"  à la fin du cycle.

2. "... Le Messie, Jésus, fils de Marie, est l'envoyé de DIEU et son verbe qu'Il projeta sur Marie, et esprit de Lui..." (coran IV, 170).

3. Puisque le Christ ressuscita des morts.

4. " [Moïse dit] : Et toi, ô as-Sâmarî ! quel a été ton dessein ? Il répondit : j'ai vu ce qu'ils ne voyaient pas. J'ai pris une poignée de poussière sur les traces de l'envoyé et je l'ai jetée  dans le veau fondu; mon âme m'avait suggéré cela" (coran XX, 96).


5. "... Nous envoyâmes vers elle notre Esprit, et il revêtit pour elle la forme d'un homme harmonieux. Elle dit : Je cherche refuge en DIEU contre toi; si tu Le crains..." (coran XIX, 17-18).


6. " Il répondit : Je suis l'envoyé de ton Seigneur, et je suis venu pour te donner un fils pur. - Comment, répondit-elle, aurais-je un fils ? Car aucun homme ne m'a touchée, et je ne suis pas transgressante. Il répondit : C'est ainsi que dit ton Seigneur : Ceci est facile pour Moi. Il sera Notre symbole pour les hommes, et une miséricorde de Notre part. L'arrêt est prononcé..." (coran XIX, 19-21)


7. C'est à dire que le miracle n'abolit pas l'ordre naturel mais le résume incidemment dans son principe supérieur; ici, la puissance spirituelle de Gabriel résume l'ordre corporel dans son principe subtil, sans que la polarité de la génération spécifique soit par là détruite. - Toute cette explication cosmologique de la conception de Jésus n'est pas donné dans le but de relativiser l'Intervention Divine; elle doit faire comprendre la constitution même du Christ, le rapport exceptionnel qui relie son élément "paternel" à sa substance "maternelle", ainsi que le démontre la suite du texte.


8. C'est à dire, ils définissaient la forme de Jésus comme forme humaine terrestre, par les mots : "fils de Marie", tout en identifiant DIEU à cette forme. Il s'agit évidemment de la confusion des deux natures, Divine et humaine, du Christ.


9. Ibn'Arabi ne considère pas Marie sous son aspect de Theotikos "Mère de DIEU"; cette expression même serait tout à fait inintelligible du point de vue de l'Islam, qui distingue toujours nettement entre le créé et l'incréé; l'idée du " DIEU manifesté", au sens direct et "concret" de ce terme, se retrouve cependant dans le soufisme, à savoir dans l'identification du Nom de DIEU à DIEU-même.


10. " Lorsque Je l'aurai formé et que J'aurai soufflé dans lui Mon Esprit..." (coran XV, 29).

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